Tendances crypto et blockchain 2019 (Partie-I) : Hodler ou revendre ?
Blockchain & Société
Une fois n’est pas coutume, les membres de l’association Nantaise “Blockchain & Société” (plus de 800 membres) m’ont demandé de présenter le bilan de l’année 2018 et les tendances pour l’année 2019 dans le monde la blockchain et de la crypto. J’ai donc accepté de me livrer à cet exercice lors de notre dernier meetup mensuel de l’année 2018 qui s’est tenu le 19 décembre chez notre sponsor YNOV Campus. Je vous restitue l’essence de cette conférence au travers de deux articles.
Dans ce premier article je reviens sur quelques événements qui ont marqués l’année 2018 : la professionnalisation du marché, l’éclatement de la bulle, la chute brutale des ICO et que faire de ses tokens en 2019.
Dans un deuxième article je parle des tendances pour 2019 : nouveau type de levée de fonds appelé STO, engouement pour les Stablecoin, les cryptomonnaies indexées sur le prix d’une autre devise, et tokens uniques appelés les NFT (Non Fungible Token). Je parle aussi des Exchanges décentralisés qui sont très attendus par la communauté.
NOTA: dans cet article j’utilise le terme
crypto
pour désigner non seulement la crypto-monnaie mais aussi toute l’économie dite décentralisée basée sur les algorithmes de chiffrement cryptographiques. J’y inclus donc tous les acteurs blockchain quel que soit la technologie utilisée et quel que soit leur finalité. Quelques précisions dans cet autre article.
Non, le Bitcoin n’est pas mort !
En 2018 le marché crypto a été sanglant en passant de plus de 700M$ de capitalisation à 100Md$ et un cours du Bitcoin qui est passé de 20000$ à 3500$. A ces niveaux tout le monde ne s’en sort pas indemne. BASIS
a jeté l’éponge, CONSENSYS
coupe dans les effectifs, SLP.Network
n’arrive pas à terminer sa levé de fonds et annonce une ICO sans limite de durée… pour ne citer que quelques exemples.
Le site 99bictoins.com maintient la page mortuaire du Bitcoin ou l’on apprend qu’il a déjà été déclaré mort 337 fois. Donc tout va bien.
L’année 2018 a été morose mais le secteur fait toujours beaucoup parler de lui comme l’atteste le site BLOCKFERENCE. Ce site cartographie les conférences à venir sur la blockchain.
Au 27 décembre on dénombre déjà 315 conférences organisées sur 2019 ! Un coup d’oeil rapide et vous pouvez voir que la blockchain s’invite une 5eme année au World Economic Forum de Davos fin Janvier 2019.
Alors non le marché n’est pas mort. Comme l’a expliqué Miguel Cuneta à plusieurs reprises :
La Blockchain Bitcoin ne se soucie pas du cours du Bitcoin ni de ce que les médias en disent. Il y a du travail à faire, maintenant, et toutes les dix minutes, aussi longtemps qu’elle fonctionnera. Cette blockchain ne fait que continuer d’avancer, un bloc à la fois.
Et si vous n’en êtes pas convaincu je vous invite à lire l’article intitulé ironiquement “Pourquoi le Bitcoin et la Crypto n’ont pas de futur” (en anglais).
Le système bancaire et la finance internationale sont entrés dans l’arène
En 2018 le marché crypto s’est professionnalisé grâce entre autres à l’arrivé des contrats futurs. De fait le marché ne connaîtra plus d’euphories comme à ses débuts. Les traders en herbe font dorénavant face à des professionnels de la finance sur-outillés qui laissent peu de chances aux amateurs. Plus largement on voit naître une réelle intrication du système bancaire avec l’univers de la crypto.
Malgré la chute des cours tout le monde n’a pas été perdant. Mark Dow vient de fermer ses positions vendeuses (short position), ouvertes pendant un an, sur Bitcoin. Il avait fait le pari que le cours déclinerait en suivant le lancement des contrats futurs sur le Bitcoin aux US. Avec cette opération il a gagné… beaucoup.
Ce type d’opération n’a été rendu possible que depuis décembre 2017, date à laquelle les premiers contrats futurs sur le bitcoin sont apparus à la bourse de Chicago. Les contrats futurs, aussi appelés contrats à termes, sont des instruments financiers puissants qui permettent de parier sur le cours futur d’un actif, à la hausse comme à la baisse. Et ce type d’outils a ouvert le marché aux traders professionnels. Et comme l’explique cet article ‘Bitcoin Futures Killed the Bitcoin Rally (and Will Keep It from Returning)’, les contrats à termes sont des outils qui donne du pouvoir aux pessimistes. De fait on ne verra plus jamais d’envolée des cours uniquement tirée par les optimistes et early adopters.
Une autre analyse montre qu’en fin d’année les professionnels réalisaient 50% des transactions, contre 5% seulement en début d’année. Les autres étant des non professionnels : possesseurs de crypto de la première heure, particuliers, mineurs, crypto geeks…
L’évolution de la corrélation des cours de crypto-monnaies est un autre phénomène intéressant à analyser.
En deux ans les 10 plus importantes cryptomonnaies se sont entièrement corrélées entre elles comme le montre les graphiques ci-dessous tirés de l’étude Cryptocurrency correlation réalisée en Août. A noter que ces 10 crypto représentent plus de 80% de la capitalisation du marché.
Les professionnels diversifient leurs positions sur les actifs les plus liquides. Il s’agit d’une stratégie de gestion de portefeuille d’actifs financiers pour limiter les risques associés à une seule crypto.
Un autre graphique (sifrdata.com) montre en revanche que le marché crypto n’est pas corrélé à celui des actions. Cet aspect est important parce qu’il explique à lui seul l’intérêt que peuvent porter les investisseurs professionnels à diversifier leur portefeuille actions avec de la cryptomonnaie.
Mais les contrats à terme n’ont été que le début de la ‘professionnalisation’ du marché.
La prochaine étape attendue par les pros de la finance concerne les ETF. Le marché est suspendu à l’autorisation par la SEC, l’organisme de réglementation des marchés financiers américains, d’utiliser un autre instrument financier appelé ETF, plus couramment appelé Trackers en France, sur la crypto. Un ETF (Exchange-Trade-Fund) est un fond d’investissement qui réplique la performance d’un indice.
Les ETF sont par définition contraire à l’esprit du Bitcoin. Les ETF permettent de créer de la “fausse monnaie” sans limite et sans prendre en considération les spécificités du sous-jacent. En d’autres termes avec les ETF vous pouvez (i) créer des simili-Bitcoin ex-nihilo alors que l’émission des vrais Bitcoin est contrôlée par l’algorithme, et (ii) vous possédez des simili-bitcoin sans jamais en avoir le contrôle.
On peut donc se demander qui a intérêt au développement des ETF Bitcoin.
L’intrication du système bancaire avec l’univers de la cryptomonnaie ressort bien sur cette infographie (anonyme, si qq’un retrouve la source je suis preneur).
Dans cet exemple ce qui est eloquent c’est le contrôle de la société Digital Currency Group par MasterCard. Devons-nous y voir là un cheval de Troie ? Est-ce que c’est une bonne ou une mauvaise chose ? En tout cas on voit bien la stratégie qui consiste à entrer dans le jeu d’une manière indirecte sinon insidieuse.
Par ailleurs à défaut de pouvoir stopper le développement de la crypto et de la blockchain, il est toujours possible de le ralentir. C’est ce que l’on a vu très clairement cette semaine au sujet de la réglementation du secteur en France.
Je vous renvoie à la vidéo d’Andreas Antonopoulos et à mon tweet qui y fait référence :
Que font les régulateurs contre un système qui ne peut pas être régulé ? Ils régulent les éléments qu'ils peuvent : #EXCHANGE & comptes bancaires. Ils coupent les rampes d'accès et les bretelles. Extrait “L'argent comme système de contrôle” https://t.co/wZdHgslBDC par @aantonop
— Laurent Lourenço (@laurentlourenco) 30 décembre 2018
Éclatement de la bulle crypto-monnaie
Le marché crypto se construit depuis sa création au travers d’une succession de bulles spéculatives dont la dernière a éclaté au début 2018.
Une question qui revient souvent en cette fin d’année 2018 est se savoir quand le marché va repartir et quel est l’état réel du marché crypto pour se début de l’année 2019.
Le premier site que tout le monde consulte pour connaître le pouls du marché crypto c’est coinmarketcap.com
. Aujourd’hui je voudrais vous présenter deux alternatives qui me paraissent plus judicieuses, à savoir On Chain FX
et la Crypto Heatmap
.
On chain FX site calcule la capitalisation de chaque crypto en prenant en compte les tokens qui ne sont pas encore mis en circulation. Ce service est rendu par messari.io
, une société dont la mission est de fournir des outils d’aide à la décision pour les investisseurs crypto. Vous trouverez également d’autres metrics comme l’activité de la communauté des développeurs sur Github ou encore le nombre d’adresses actives sur le réseau !
Pour certaines crypto ce mode de calcul peut faire une grande différence dans le classement. Comme pour Stellar
par exemple qui passe de la 6ème à la 3ème crypto et supplante Ethereum
!
Une autre manière de représenter le marché à un instant ’t’ est d’utiliser une heatmap comme celle de Bitgur. Vous voyez l’ensemble du marché en un coup d’oeil.
Et le 19 décembre 2018 tout était vert, signe d’un nouveau départ ?
En fait tout est une question de point de vue et d’horizon temporel. Le marché crypto se construit depuis sa création au travers d’une succession de bulles spéculatives, et des périodes de retournement qui vont avec. J’ai trouvé ce graphique en surfant sur internet qui illustre bien ce phénomène. L’évolution du marché représenté sur une échelle logarithmique depuis son origine, cela donne moins le vertige.
Deux phénomènes majeurs ont contribué à l’éclatement brutal de cette bulle, la fin des ICO et la prise de conscience que les tokens utilitaires avaient peu de chance de prendre de la valeur. Et l’éclatement de la bulle avait été prédit dans cet article du 1er novembre 2017 ‘why-and-how-the-cryptobubble-will-burst’ par un anonyme au pseudo de DK. Il faisait le parallèle avec la bulle internet des années 2000 : des investisseurs non avertis, de nombreux projets qui sont des arnaques, un manque de cadre réglementaire.
La chute brutale des ICO en 2018 !
Les ICO ont littéralement explosées en 2016, et ont été à leur apogée en 2017 (voir mon article ‘Les start-up blockchain poussent comme des champignons’). Pour les néophytes une ICO (Initial Coin Offering) est un mode de financement qui permet à une startup de lever des fonds très rapidement, sans diluer son capital, et en donnant en échange un actif numérique, les fameux Token. Ce mode de financement a été rendu possible grâce à la technologie des SmartContrat née avec la blockchain Ethereum en 2014, autant dire hier.
L’étude ICO Bench montre non seulement l’effondrement des montants levées via des ICO au cours de l’année 2018, mais aussi la corrélation avec la chute des cours d’Ethereum. Et pour cause, 85% des ICO ont été réalisées sur la blockchain Ethereum. Les ICO ont été la première killing app d’Ethereum. Elles avaient largement tirées les cours du marché de la crypto en 2017. Sans ICO et sans killing app de remplacement Ethereum perd de son intérêt, entraînant de fait la chute du cours.
Mais pourquoi les ICO ont elles chutées ?
Tout d’abord pour des raisons liées au processus d’innovation que portent les startups dans leurs gènes. Statistiquement seules 10% des startups réussissent réellement à décoller, 50% survivent ou vivotent et 40% sont des échecs. Ces chiffrent sont encore plus éloquents dans le domaine de la blockchain. Les projets ont vu le jour très souvent avec seulement un whitepaper, une phase de R&D très ambitieuse et des équipes sans expériences. Or 2018 correspondait à l’année des premières échéances annoncées dans les roadmaps des startups nées en 2016⁄2017. Nombreuses sont celles qui ont soit jeté l’éponge face à la complexité, soit repoussé les échéances, ou se sont tout simplement écharpées au sujet des principes de gouvernance inhérent à toute structure qui possède des fonds. Elles n’étaient pas préparées. Les investisseurs se sont rendus compte que l’argent ne suffis pas pour réussir à réaliser un projet, surtout quand il fait appel à des technologies complexes, dans un marché en pénurie de compétences. Ils se sont retirés du marché pour revenir à des modes de financement plus classique en trois phases correspondant aux stades de maturités des projets : Seed, Serie A et Serie B, ou attendent les STO qui réduiront leurs risques.
Ensuite à cause des arnaques. Lever des fonds sans contrainte et avec facilité a donné des idées à des escrocs sans scrupules. On se rappellera Bitconnect
ou Plexcoin
. Mais le coup de grâce est venu avec Pincoin
qui a réussi à extorquer 660 millions de dollars auprès de 32000 investisseurs en Janvier 2018. Cet épisode a réellement marqué les esprits et a (i) montré à quel point les investisseurs néophytes sont crédules, (ii) fait définitivement du tort au concept d’ICO.
Mais les arnaques ne sont pas les seules en cause. Comme l’illustre bien Ivan On Tech dans son tweet, les marchés réglementés aussi sont victimes d’arnaques et de cours qui dévissent très sérieusement, et elles ne tirent pas pour autant tout le Nasdaq vers le bas.
This is not ICOs, this is NASDAQ % drop from ATHs. Scam? 😅😂
— Ivan on Tech (@IvanOnTech) 24 décembre 2018
GOPRO -95%
FIT -92%
LC -91%
SNAP -83%
P -80%
ZNGA -77%
HIVE -73%
TRUE -66%
TWTR -63%
SONO -60%
DBX -57%
Z -57%
PS -50%
FTCH -49%
PSTG -48%
SPOT -48%
BOX -46%
DOCU -45%
SVMK -45%
FB -42%
Enfin, et c’est probablement la raison principale, parce que la plupart des token ne prendront jamais de valeur. Les fameux tokens données en échange de l’argent apporté par les investisseurs étaient censés prendre de la valeur, qui plus est rapidement. Mais voilà, plusieurs têtes pensantes se sont penchées sur la question pour aboutir à la conclusion que les tokens ont souvent un fonctionnement antinomique avec le développement du produit. Plus la demande pour le produit augmente et plus le cours du token augmente, ce qui vient brider la demande. Du coup plusieurs analystes en sont venus à montrer que plus de 80% (certains parlent même de 95%) des tokens cotés ne prendront jamais de valeur de par leur conception. Il n’en a pas fallu plus pour que les investisseurs se retirent du marché.
Malheureusement tous les tokens ont été impactés, y compris ceux qui ont un réel intérêt et une réelle utilité.
Quoi faire de ses tokens en 2019 ?
Dois-je Hodler, garder en attendant les jours meilleurs, ou revendre à perte ? Nous sommes nombreux à avoir investis dans des ICO ou à avoir acquis des tokens sur les marchés. Souvent parce que le projet présente une réelle innovation digne d’intérêt et parfois par spéculation. Mais voilà après ce qui vient d’être dit sur la valorisation des tokens utilitaires, la question se pose.
Pour les tokens de protocole, comme Bitcoin, Stellar ou Ethereum, votre croyance en l’avenir du réseau vous donne la réponse. Leur performance dépendra du niveau d’intégration dans des applications end-users qui sont encore à inventer.
Pour les tokens utilitaires il faut réussir à identifier les ~20% de ceux qui vont présenter une réelle utilité et dont leur token-economie leur permettra de prendre de la valeur sans entraver leur adoption.
Pour les autres, les tokens sont face à un dilemme. Les FUTILITY comme les appelle Rocco (“FUTILITY Tokens: A utility-based post-mortem”), n’ont aucune chance de gagner de la valeur dans le futur et le dilemme porte donc sur la combinaison des décisions que prendront les investisseurs d’un côté et la société qui porte le projet de l’autre.
Je vous laisse en tirer les conclusions par vous-même en fonction de votre portefeuille.
Conclusion
Alors non, malgré la chute vertigineuse du marché en 2018, le Bitcoin n’est pas re-mort, les nombreux investissements en cours dans le monde et les conférences à venir en 2019 en témoignent.
En 2018 le système bancaire et la finance internationale sont entrés dans l’arène pour tenter de contrôler un tant soit peu ce système qui échappe par construction à toute réglementation. Et le mouvement va continuer en 2019 avec l’arrivée probable des instruments financier appelés ETF, et encore plus de tentative de réglementation.
Le marché crypto se construit depuis sa création au travers d’une succession de bulles spéculatives, et des périodes de retournement qui vont avec. L’éclatement de la bulle en 2018 n’est qu’une de plus, mais la communauté reste très active.
L’éclatement de la bulle en 2018 aura été marqué par la chute brutale des ICO pour trois raisons : (i) des startups inexpérimentées et dans l’incapacité de tenir leurs promesses, (ii) un nombre d’arnaques d’une ampleur sans précédent, (iii) Enfin, et c’est probablement la raison principale, parce que des analystes ont démontrés que la plupart des token ne prendront jamais de valeur.
Si vous possédez encore des token et que vous vous posez la question Dois-je Hodler, ou revendre à perte ?, vous devrez faire la part des choses entre les tokens de protocoles, dont la performance dépendra du potentiel des applications qui s’appuieront dessus, et les autres qui n’ont probablement aucune chance de gagner de la valeur dans le futur. Le marché devrait donc continuer de s’épurer.
Dans la deuxième partie je parle du nouveau type de levée de fonds appelé STO qui devrait prendre le pas sur les ICO, de l’engouement pour les Stablecoin, des tokens uniques NFT et des DEX, les exchanges décentralisés qui sont très attendus par la communauté.
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Notes et références
- What will bitcoin look like in twenty years Daniel Jeffries - Oct 2017
- Crypto Correlation Coefficient Strategy Blackwell Global
- The Price Of Bitcoin And Equities Are Correlated Forbes - Oct 2016
- What’s the difference between blockchain and DLT
- Bitcoin Futur Quote CME Group
- ETF will kill bitcoin for good investors express skepticism
- Will A Bitcoin ETF Kill Bitcoin Or Allow It To Grow Further? Nov 2018
- A checklist for the crypto price bottom 7 dec 2018
- ICO Market Analysis ICObench - Nov 2018
- Pincoin ICO crypto exit scam dupes 32000 investors in 660 million
- Bitcoin is dead. The blockchain didn’t get the memo Miguel Cuneta - Feb 2018
- Why bitcoin and crypto have no future Oct 2018